Avant le départ à Lorient, le 28 avril dernier, Ambrogio Beccaria était le seul marin à voir dans The Transat CIC un peu plus qu’une course. Lui, le régatier acharné, le compétiteur hors-pair ne pensait pas qu’au sport au moment de s’élancer pour ce rendez-vous majeur de la saison Class40. En cause : le vertige de l’histoire. « Se rendre à New York par la mer, cela résonne particulièrement quand on sait que des générations d’Italiens sont partis là-bas pour chercher une vie meilleure ». Ambrogio parlait de ces nombreuses familles « dans le Sud de l’Italie surtout », qui « ont des aïeuls partis là-bas ». L’immigration massive a eu lieu au XIXe siècle, ils fuyaient la misère pour un avenir qui s’annonçait radieux et nombre d’entre eux ont contribué à façonner l’Amérique, ses institutions, son tissu économique et son histoire aussi.
Un duel exceptionnel d’intensité
« Aller à New-York par la mer rappellera forcément le lien culturel très fort et très émouvant qui nous unit », confiait Ambrogio. Le skipper d’Alla Grande - Pirelli pourra en profiter à son arrivée à ‘Big Apple’ quand il passera sous le pont Verrazzano - du nom de l’explorateur italien qui a été le premier à naviguer dans la baie de New York -, à proximité de la Statue de la Liberté avant de retrouver ses proches sur un ponton de Brooklyn.
Ambrogio pourra savourer, aussi, parce qu’il vient de réaliser une transatlantique en forme de sprint, un combat acharné, remporté aux points face à Ian Lipinksi (Crédit Mutuel), les deux hommes ayant offert un duel exceptionnel par son intensité. Auteur d’un très bon départ, Ambrogio s’est hissé dans le ‘top 5’ dès les premiers milles en longeant les côtes bretonnes. Dans la remontée vers l’Irlande, il a opté pour un positionnement plus Sud que ses rivaux avant de les rejoindre au moment où la tête de flotte filait plein Ouest, à proximité de la route directe.
Un sacré mano-à-mano jusqu’au bout
Commence alors une guerre des positions avec Fabien Delahaye (LEGALLAIS), Nicolas d’Estais (Café Joyeux) et surtout avec Ian Lipinski (Crédit Mutuel). Ambrogio parvient à reprendre les commandes de la course samedi dernier au petit matin. Il confie alors : « ça ne change rien d’être en tête mais ça m’encourage, ça montre que j’ai fait les bons choix ». Ambrogio fait partie de ces marins respectueux qui parlent plus vite des autres que lui. Quelques minutes plus tard, il poursuit : « je trouve que Ian prouve que c’est un grand champion. Il n’avait pas le bateau le plus rapide au reaching et au final il a fait toute la partie au reaching en tête ! »
Ensuite, les deux hommes se sont livrés un sacré mano-à-mano, sans compter leurs heures de sommeil, en tricotant jusqu’à la ligne d’arrivée. Un duel de pistoleros du large, un duel à couteaux tirés, un duel de (très) grands régatiers. Il y a, dans la progression d’Ambrogio Beccaria, l’idée que l’on se fait d’un palmarès de géant : vainqueur de la Mini-Transat (2019), 2e de la Route du Rhum, lauréat de la Transat Jacques Vabre et de The Transat CIC. À lui de savourer, autant qu’il peut, sur les chemins de la gloire.
Comment te sens-tu ? Qu’est-ce que cette victoire représente pour toi ?
Ce n’est pas souvent que tu gagnes deux transatlantiques d’affilée en six mois. Et c’est la première course en solitaire que je gagne avec ce bateau. C’est très, très important pour moi. Et c’est l’une des meilleures courses que j’ai faites. Souvent, il y a de la souffrance et de douleur. Cette fois, j’étais très conscient de ce que je faisais et tout s’est très bien passé. Il y a des moments très durs, mais au final, je n’ai pas trouvé ça si difficile globalement. Les conditions étaient plaisantes dans le sens où on s’était préparés au pire. Pour moi, la Route du Rhum – Destination Guadeloupe a été plus dure, mais The Transat CIC a été intense. Les périodes sans vent ont été très stressantes et parfois, il faisait très froid.
Quel regard portes-tu sur ta course ?
J’en suis très content parce que je voulais vraiment savoir à quels moments je pouvais pousser fort et je l’ai fait, attaquer. Cette fois, j’ai vraiment compris et j’ai réussi à le faire. La première fois, c’était dans le sud de l’Irlande quand j’ai réussi à recoller au paquet de tête. Ça a été un moment clef. C’était un cadeau du bateau parce que c’était de la vitesse pure. Et puis il y a eu le contournement de la dorsale anticyclonique où j’ai très bien navigué. J’étais très content. J’ai dépensé beaucoup d’énergie mais je savais que c’était un tournant dans la course. Et puis ça a été important, quand j’ai perdu mon avance sur les autres, de réussir à rester calme et concentré sans penser à ce que je ne pouvais pas gérer. Le dernier coup, je l’ai fait en jouant très près du centre de la seconde dorsale. J’ai réussi à sortir mon spi dans le front. Ian était toujours dedans et j’ai réussi à faire un peu de sud, ce qui m’a donné un meilleur angle pour aller à l’ouest. J’ai croisé trois milles devant lui.
Tu as rencontré quelques problèmes pendant la course, peux-tu revenir dessus ?
J’ai déchiré mon code zéro, une voile très importante au début de la course. Ça m’a beaucoup affecté. C’était un moment difficile. Ensuite, j’ai dû faire une petite réparation sur la cloison. La chose la plus ennuyeuse a été la casse à deux reprises fois du système de descente des safrans dans les 200 derniers milles. Je ne sais pas si j’ai tapé quelque chose. La première fois, j’ai perdu le gennaker, la seconde fois était à 20 milles de l’arrivée. C’était stressant. Et la nuit dernière, un éclair est passé très près du bateau. C’était effrayant.
Tu as bien bagarré avec Ian…
Ian a fait une course merveilleuse. Je savais depuis le début qu’il était l’un des meilleurs. Il connaît si bien son bateau. Il sait bien aussi comment naviguer en solitaire et il a beaucoup, beaucoup d’énergie. Il est très rapide dans le vent fort au portant. L’un des moments charnières a été quand il a déchiré l’un de ses spis. Ça l’a beaucoup handicapé. J’aime naviguer contre lui, il attaque tout le temps. Je cherche un port à New York, n’importe lequel. J’ai hâte de voir les gens. Je mets beaucoup d’énergie et d’effort dans mes courses et j’ai envie de partager avec les autres. J’aime le solitaire, mais j’aime les gens aussi.
Source : the Transat CIC