Face à un front particulièrement virulent, la flotte des Class40 s’est scindée ces dernières heures. D’un côté, les leaders et l’incroyable ‘mano-à-mano’ entre Yoann Richomme (Paprec Arkéa) et Corentin Douguet (Queginer-Innoveo), séparés de 0,1 mille en début d’après-midi. De l’autre, les partisans du Sud qui s’apprêtent à dépasser les Açores. Pour tous, le constat est identique : la répétition des efforts de ces derniers jours commence à tirer fortement sur les bateaux comme sur les organismes.
Ce qu’il faut retenir de ce lundi en Class40
Leader depuis dimanche soir, Yoann Richomme (Paprec Arkea) continue de dominer la course avec un écart infime sur Corentin Douguet (Queginer-Innoveo)
La flotte est plus que jamais scindée entre les partisans d’une route Ouest, Nord-Ouest et les partisans du Sud
Jean-Pierre Balmes, victime de problème de ballasts et de hook de trinquette, a été contraint à l’abandon
Kenni Piperol (Capt’ain Alternance) qui répare son Class40 à La Corogne, espère repartir dès mercredi
Un nouveau front, encore, avec ses rafales insensées et sa mer déchaînée. « Comme un air de déjà vu » écrivait Nicolas d’Estais (HappyVore – Café Joyeux) qui, à l’instar de tous les autres, a dû « se coltiner à nouveau du vent fort, de la mer croisée et beaucoup d’humidité », dixit Kito de Pavant (HBF Reforest’Action). « C’était la guerre, vraiment c’était dur, infernal », souffle Corentin Douguet (Queginer-Innoveo). Luke Berry (Lamotte-Module Creation) ne dit pas autre chose : « les conditions de mer sont extrêmes et les conditions de vie sont inexistantes, voire très primaires ». Et le pire, malgré le ciel et la mer qui se déchaînent, c’est que cela peut même être beau, à l’instar du lever de soleil capté par William Mathelin-Moreaux (Dékuple) en plein chaos iodé.
« Avec Yoann, stimulant et usant » (Douguet)
Il y a ceux qui ont décidé de faire de l’Ouest, quitte à affronter des conditions particulièrement éprouvantes, avec 30 nœuds de moyenne. Parmi eux, le trio de tête,
les inséparable Yoann Richomme (Paprec Arkéa), Corentin Douguet (Queginer-Innoveo) et Xavier Macaire (Groupe SNEF). Longtemps leader, Corentin a expliqué lors de la vacation, ce lundi matin, avoir un problème au niveau de son moteur. « Il y a une durite qui est morte et de l’air dans le circuit de gasoil. Si je ne parviens pas à le redémarrer aujourd’hui, je n’aurai pas d’autres choix que de m’arrêter aux Açores ».
Il n’empêche, comme ses deux comparses, Corentin est parvenu à quitter la zone de vent fort en début d’après-midi. De quoi prendre le temps d’évoquer le ‘mano-à-mano’ avec Yoann Richomme : « être au coude-à-coude avec lui, c’est à la fois stimulant ou usant. On discute un peu à la VHF, même si je ménage mes batteries, mais on ne dort pas beaucoup. Cela ne laisse aucun répit. Dès que l’un va plus vite que l’autre, l’autre est obligé de retourner sur le truc ! »
Des ennuis, des abandons et de l'espoir
Dans le même temps, une partie de la flotte des Class40 a préféré mettre le cap plein Sud. Ils sont onze skippers avec souvent des raisons qui leur sont propres. Ian Lipinski (Crédit Mutuel) compose avec un problème technique (point d’armure d’une voile d’avant), Stan Thuret (Everial) a préféré jouer de prudence en choisissant « de ne pas suivre les autres », tout comme Cédric Château. Le skipper de Sogestran-Seafrigo s’est même amusé à faire un « petit comparatif de vitesse » avec un sacré concurrent, le Maxi Banque Populaire XI. « Il va plus vite, c’est clair ! Il était à mon vent et a viré pour repartir vers les Açores… C’était marrant de le croiser ! »
Ce lundi a, comme tous les jours depuis le départ malheureusement, son lot de mauvaises nouvelles. En fin de matinée, Jean-Pierre Balmes (Fullsave) a ainsi fait part de sa volonté d’abandonner. Le skipper de la Grande-Motte doit faire face à des problèmes de ballast et de hook de tinquette. Il a décidé de faire demi-tour et a mis le cap vers Cascais. La veille, c’était l’Australien Rupert Henri (Eora) qui en avait fait de même, la faute à la défaillance struturelle d’une cloison. Ainsi, on compte désormais 9 abandons chez les Class40.
De son côté, Jean Galfione (Serenis Consulting) a dû s’arrêter une nouvelle fois. Victime d’un choc à la tête, il s’est arrêté dans le port de Vigo où des examens médicaux complémentaires ont dû être réalisés. Dans le même temps, d’autres continuent l’aventure malgré les difficultés. Victime d’une voie d’eau, Keni Piperol (Capt’ain Alternance) était arrivé hier à La Corogne. Après avoir été sorti de l’eau puis inspecté, le bateau a été immédiatement réparé par les équipes de Lalou Multi. Mais hors de question pour le skipper d’abandonner. « Il ne m’est jamais venu à l’esprit que je ne repartirai pas », a-t-il expliqué. Son équipe prévoit un retour en mer mercredi à la mi-journée.
LES VACATIONS DE CE LUNDI MATIN :
Corentin Douguet (Queguiner-Innoveo) : « Je n’aurai peut-être pas d’autre choix que de m’arrêter au Açores »
« Cette nuit, c’était vraiment dur, c’était la guerre, c’était la guerre. Contrairement au dernier front, c’était long (…). En Class40, avec nos bateaux, dans cette mer là, c’est infernal. J’ai traversé deux fois le bateau cette nuit, je suis content de voir que ça se termine. On commence à voir la sortie du tunnel, même s’il se peut qu’on en passe un autre petit après les Açores. On commence à se dire qu’un jour on naviguera sous le soleil.
J’espère qu’aujourd’hui les conditions vont être un peu plus calmes pour me permettre de résoudre un problème au niveau de mon moteur. Il y a une durite qui est morte et il y a de l’air dans le circuit de gasoil. Mais si je ne parviens pas à le redémarrer aujourd’hui, je n’aurai pas d’autre choix que de m’arrêter aux Açores. Je suis toujours à côté de Yoann (Richomme), et on va bientôt virer, ce n’est pas un secret. Et on verra la suite en approche des Açores selon les modèles et les fichiers. C’est une Route du Rhum proche de la route directe pour l’instant, et sur ce parcours, c’est ce qu’on appelle une route Nord. D’être au coude à coude avec Yoann, c’est à la fois stimulant ou usant. On discute un peu à la VHF, même si je ménage mes batteries, mais on ne dort pas beaucoup. Cela ne laisse aucun répit. Dès que l’un va plus vite que l’autre, l’autre est obligé de retourner sur le truc ! »
Cédric Chateau (Sogestran-Seafrigo) : « C’était marrant de croiser Banque Populaire ! »
« Hier, j’ai découvert qu’une cloison s’était fissurée, et l'option à travers vents et vagues n’était plus une option pour moi. Je vais à la rencontre d’accalmies pour réparer et repartir de plus belle. Mais la route Sud m’a permis de faire un petit comparatif de vitesse avec Banque Populaire (l’Ultime d’Armel Le Cléac’h, ndlr). Il va plus vite, c’est clair ! C’était marrant de le croiser. Il était à mon vent et il a viré pour repartir vers les Açores, tandis que je suis resté sur ma route vers le Sud. Je pensais qu’on allait mettre le spi, cette voile ballon, un peu plus tôt. Visiblement, on va faire du près pendant encore très longtemps. Devant moi, j’en ai encore pour une trentaine d’heures. Ensuite, cela devrait tout doucement mollir un peu, avant d’avoir peut-être - ô miracle ! - l’opportunité de hisser un spi. Par rapport à la transat en double de l’an dernier, on est vraiment dans un schéma complètement inverse, puisqu’on avait mis le spi juste après Brest pour l’affaler à l’arrivée aux Antilles. Nos bateaux ne sont pas forcément adaptés au près, j’ai vraiment hâte de trouver enfin des allures portantes. Mais le truc qui m’amène le plus de frustration, c’est de plus être vraiment dans la course pour 48 heures, le temps d’aller chercher une accalmie. Ça me fait tourner en boucle. C’est assez agaçant de subir une casse matérielle alors que j’ai essayé d’être le plus prudent possible et d’aller un peu moins vite que dans les premiers fronts. »
Luke Berry (Lamotte-Module Création) : « Je ne voulais pas aller trop tôt dans ce nouveau front »
« Les conditions de mer sont extrêmes, et les conditions de vie sont inexistantes, voire très primaires. Je vis à 30° degrés de gite en ce moment. Il fait gris et ça tape très, très fort. Pour que le bateau tape moins, il faut naviguer très gîté, voire surtoilé. Je ne voulais pas aller trop tôt dans ce nouveau front, parce qu’on a vu l’hécatombe de la dernière fois. Je suis descendu un peu plus au Sud, mais au final j’ai quand même eu du vent et de la mer et j’ai perdu beaucoup de places. C’est un peu frustrant. J’ai voulu miser un peu sur la sécurité, mais je ne suis pas sûr que ceux un peu plus au Nord aient eu des conditions beaucoup plus difficiles que moi.
J’espère virer dans 4 heures (vers 15h, HF, ndlr). J’ai un petit souci, je n’ai pas d’aérien, je ne sais pas d’où vient exactement le vent et surtout combien de vent il y a. Toute la nuit, j’étais à côté de Ian (Lipinski) et Axel (Trehin). Je me calais donc par rapport à eux pour savoir quel angle faire. Mais là, je ne n’ai plus personne à l’AIS, et je ne sais pas trop quand on va sortir de tout ça. J’ai un ballast qui fuit en permanence et je dois vider un gros sceau d’eau toutes les heures. Et pas mal d’autres petites bricoles : des amures qui ont cassé, du matériel informatique que j’ai retrouvé au fond du bateau… Mais je pense que tout le monde est un peu logé à la même enseigne. Je vais virer après le front et il y a de forte chance que j’essaye de m’arrêter sous une île, c’est à peu près sur le chemin pour essayer de montrer et réparer mon aérien. Et le truc, qui n’était pas prévu au programme, c’est que j’ai, l’impression qu'il n'y encore un autre front à aller chercher. On en finit plus ! Mais le moral tient bon. J’ai bien dormi cette nuit. Cela bougeait tellement à l’intérieur que je me suis mis sur mon pouf en ciré. Je suis un peu déçu d’être un peu trop loin pour jouer la sécurité, mais la route est encore longue, il y a plein de pièges encore devant. »
Source: OC Sport Pen Duick